Qui était vraiment Jésus ? Et que signifie être « le Christ » ? De la théosophie à l’aumisme, du soufisme au gnosticisme, en passant par Eckhart Tolle ou la mystique chrétienne, les traditions spirituelles réinterprètent radicalement ces figures. Certaines dissocient l’homme Jésus du principe christique universel ; d’autres voient en lui l’ultime incarnation du divin. Ce panorama comparatif explore ces visions contrastées — tantôt symboliques, tantôt métaphysiques — pour éclairer ce que chacune dit, au fond, de l’humanité, du divin… et de nous-mêmes.

La Théosophie distingue Jésus et le Christ

L’enseignement théosophique propose une lecture ésotérique et syncrétique des grandes figures spirituelles. Dans ce cadre, Jésus et le Christ sont considérés comme deux entités distinctes, incarnant deux niveaux de conscience ou deux fonctions spirituelles différentes.

Jésus est vu comme un homme, un initié avancé, un grand disciple, qui a atteint un très haut niveau d’évolution spirituelle, mais qui n’est pas en soi « le Christ » dès la naissance.

Le Christ est considéré comme un Être spirituel cosmique, un grand Être divin appartenant à la Hiérarchie spirituelle planétaire (les « Maîtres de Sagesse »). Dans ce cadre, le Christ serait l’un des plus élevés de ces Maîtres, parfois identifié comme le Maître Maitreya dans certains courants théosophiques.

Le Christ (ou Maitreya) se serait incarné temporairement dans le corps de Jésus à partir de son baptême dans le Jourdain jusqu’à sa crucifixion. Il s’agit là d’un cas de « transmigration temporaire »  non d’une incarnation permanente.

Cela soutient une vision ésotérique et évolutive de la divinité, où tous les grands avatars (Bouddha, Krishna, Jésus…) seraient des manifestations temporaires d’êtres divins œuvrant pour l’évolution spirituelle de l’humanité.

Après sa crucifixion, Jésus serait devenu lui-même un Maître de Sagesse, continuant son travail à un autre niveau de réalité (souvent appelé  le « plan causal »). Il pourrait aujourd’hui, selon certaines branches du mouvement, continuer à œuvrer en tant qu’enseignant dans les plans subtils.

La théosophie élargit encore plus la figure du Christ : il est vu non seulement comme une entité individuelle mais aussi comme un principe cosmique, une force christique universelle présente en toute âme humaine en devenir. Cette force serait accessible à chacun à mesure de son développement spirituel.

La distinction entre Jésus et le Christ repose sur des sources occultes, non vérifiables historiquement. Elle déplace la question du salut personnel (clé dans le christianisme) vers une quête de développement spirituel individuel.

Un chrétien orthodoxe ou catholique rejettera fermement cette vision : pour lui, il ne peut y avoir qu’une seule personne divine incarnée, Jésus-Christ, Verbe fait chair, unique médiateur entre Dieu et les hommes.

En résumé, Jésus est un grand initié ayant pris un véhicule humain ; le Christ  est une  Entité divine et un principe cosmique, qui a temporairement « habité » Jésus. Leurs missions étant l’ éveil spirituel de l’humanité et pas le rachat des péchés.

La théosophie joue sur une structure archétypale partagée : un être transcendant entre dans un homme purifié pour enseigner à l’humanité. Cette structure est transversale dans plusieurs traditions ésotériques.

Mais l’originalité théosophique est de rendre cette structure : évolutionniste (le salut vient de la montée de conscience), organisée hiérarchiquement (via les Maîtres, les Rayons, etc.), unifiée mondialement (syncrétisme de toutes les religions).

 

Que dit la gnose chrétienne (2ᵉ-3ᵉ siècle) ?

Pour la majorité des gnostiques, le Christ est un éon céleste qui descend sur l’homme Jésus au moment du baptême et le quitte avant la crucifixion (exactement comme en théosophie). Cela permet de rejeter l’idée qu’un être divin ait souffert ou été tué.

Le But du Christ étant d’ enseigner une gnose salvatrice — la connaissance intérieure de notre nature divine, emprisonnée dans le monde matériel créé par un démiurge inférieur.

Le ton de la gnose est radicalement dualiste : le monde matériel est mauvais, créé par erreur ou par malveillance. Ce n’est pas le cas de la théosophie, plus « évolutionniste » et optimiste.

La gnose s’adresse aux élus, à une élite spirituelle ; la théosophie se veut plus universelle.

Le christianisme mystique (Maître Eckhart, Swedenborg, etc.), pleinement Dieu et pleinement homme

La notion d’un « Christ intérieur » est centrale chez Maître Eckhart : le Verbe éternel naît en nous, et chaque âme peut devenir le lieu de cette incarnation.

Swedenborg affirme que le Christ a un sens spirituel profond, au-delà de la lettre, et que les cieux sont structurés selon une forme humaine divine (l »Homme céleste »).

Toutefois, ces mystiques, même hétérodoxes, ne séparent jamais radicalement Jésus du Christ : ils s’attachent à une unité hypostatique (la double nature de Jésus, pleinement Dieu et pleinement homme).

Le salut reste christocentrique : pas d’éveil progressif par étapes, mais une transformation par la Grâce divine.

Le soufisme (ésotérisme islamique), l’union à Dieu

Le Christ intérieur existe aussi dans certaines écoles soufies, où Jésus est vu comme un maître de l’âme, un exemple de pureté et d’union avec Dieu. Certains maîtres soufis ont identifié le « Qutb » (pôle spirituel, qui serait à l’Univers ce que l’âme est au corps physique) de leur époque comme une figure christique — un être inspiré de la Lumière divine, guide

Dans l’islam orthodoxe (et même soufi), Jésus n’est pas crucifié (Coran, sourate 4:157).

 Le bouddhisme mahāyāna, la transcendance incarnée

Le concept du Bodhisattva (être éveillé renonçant au nirvāṇa pour sauver les autres) peut se comparer à la figure du Christ comme Maître de compassion, descendant dans le monde pour guider l’humanité.

Certains textes bouddhiques décrivent des Bouddhas transcendants (comme Amitābha ou Vairocana) qui « habitent » temporairement des maîtres humains pour accomplir leur œuvre. Cela rappelle la descente du Christ dans Jésus.

Mais le bouddhisme ne connaît ni Dieu personnel ni âme éternelle : il est non-théiste. La notion d’un Christ cosmique actif au sein d’une Hiérarchie divine est donc incompatible avec sa cosmologie. L’approche bouddhique reste impersonnelle.

L’Aumisme, « l’Unité des Visages de Dieu »

Pour cette nouvelle religion qui cherche à intégrer toutes les religions dans un culte universel, y compris le christianisme,  Jésus y est vénéré comme l’un des visages du Divin, intégré à une vaste cosmologie syncrétique.

Le Christ quant à Lui, n’est pas confiné au Jésus historique, mais est vu comme une puissance spirituelle solaire, active à travers différents cycles et incarnations. C’est une énergie incarnée, une force christique universelle réunissant les énergies occidentales mystiques

Jésus est reconnu comme une incarnation précédente du Christ, un avatar parmi d’autres, une étape essentielle dans l’histoire spirituelle humaine .

Il incarne le principe chrétien dans l’ère des Poissons, mais n’est ni unique ni exclusif : il fait partie d’une chaîne d’avatars (Bouddha, Mahomet, etc…).

L’histoire est décrite comme un cycle d’ères zodiacales (Poissons, Verseau…), chacune marquée par un avatar du Christ

Eckhart Tollé, vision du Christ intérieur

Eckhart Tolle évoque à plusieurs reprises Jésus et le Christ, mais dans une lecture radicalement non dogmatique. Il ne parle ni en théologien ni en exégète chrétien, mais en enseignant spirituel contemporain influencé par le bouddhisme zen, l’Advaita Vedānta, et certaines formes de mysticisme occidental.

Sa lecture est symbolique, intérieure, et fortement déracinée du christianisme historique. Tolle voit Jésus comme un enseignant éveillé, un maître de conscience. Il insiste sur le fait que Jésus enseignait la Présence, c’est-à-dire la sortie du mental compulsif, de l’ego, du temps psychologique.

Par exemple, il cite :
« Avant qu’Abraham fût, Je suis »,
comme une affirmation directe de la conscience pure, non comme preuve d’une divinité métaphysique.
Jésus est relu comme un guide vers l’Éveil, non comme le Fils unique de Dieu venu racheter les péchés.

Le « Christ » chez Tolle est un principe spirituel, non une personne. Il s’agit de la conscience divine immanente, présente en chacun, que Jésus aurait incarnée parfaitement, mais que nous sommes tous appelés à reconnaître en nous-mêmes.

Il écrit par exemple :
« Le Christ est votre essence divine, ou le Soi, tel qu’il est parfois appelé en Orient. Le seul différend entre Jésus et les autres êtres humains, c’est qu’il n’a jamais perdu contact avec cette essence. »

Le Christ devient une potentialité universelle d’éveil — une présence non mentale, opposée à l’ego.

Il considère la crucifixion et résurrection comme des  symboles intérieurs. La crucifixion n’est pas vue comme un acte rédempteur ou sacrificiel, mais comme un symbole du lâcher-prise ultime, de la mort de l’ego. La résurrection symbolise la naissance à une nouvelle conscience libérée du moi personnel. C’est une lecture psychologique et spirituelle, non théologique.

Peut-on conclure?

Au terme de ce parcours comparatif et non exhaustif, une chose s’impose : la figure de Jésus-Christ agit comme un miroir de chaque tradition. Tantôt maître éveillé, tantôt avatar cosmique, tantôt Dieu incarné, il cristallise les aspirations les plus profondes de l’humanité : sens, salut, dépassement de soi.

Là où le christianisme affirme l’unicité de l’incarnation, d’autres traditions privilégient la pluralité des voies et des messagers. Mais toutes, à leur manière, interrogent la frontière entre l’humain et le divin. Reste alors une question, inévitable : s’agit-il de reconnaître un visage historique… ou de répondre à un appel intérieur ?

Pour aller plus loin

1 Commentaire

  1. Marie-Noëlle CROZEMARIE

    Depuis quelques années, je m’intéresse de très près aux différentes interprétations de la Personne du Christ et je souhaiterais continuer à approfondir la question. Savoir pourquoi ce distinguo entre la conception dogmatique de l’Eglise Judéo-chrétienne et les approches gnostiques, ésotériques et « orientalisantes » des ésotéristes et théosophes modernes. Comment rendre compatibles les différentes interprétations ?

    Réponse

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