En le déliant de sa signification religieuse, on peut redéfinir philosophiquement ce concept pour répondre aux défis actuels. Telle est la proposition faite par J-L M. Lagardette, président de la Diversité Spirituelle, lors d’un colloque international à la mi-octobre 2024 à l’Université catholique de Lille.
L’objectif principal de ce congrès scientifique « Sciences, Technosciences et Foi à l’heure de l’écologie intégrale » était d’analyser « de quelle manière l’urgence écologique, qui remet en cause le progrès scientifique, a un impact sur les questions sciences et foi aujourd’hui ».
Parmi les principaux thèmes abordés, figuraient une interrogation sur « l’anthropologie chrétienne » : comment l’environnement et les sciences impactent-ils le triptyque « corps-psyché-esprit » ? Et cette question : est-il possible de revitaliser le concept d’âme, négligé par les sciences naturelles ?
À cette dernière question, JL ML, par ailleurs membre du Centre international de recherche et études transdisciplinaires (Ciret), répond : « Il est possible de revitaliser le concept d’âme, à condition de reconnaître la place centrale du « je » humain dans le complexe et incommensurable corpus de nos savoirs. Valoriser le facteur humain, la subjectivité (tout en visant le maximum d’objectivité possible), me semble urgent si nous voulons enrayer le cours destructeur que nous voyons à l’œuvre sur toute la Planète ».
L’organisateur Thierry Magnin (Université catholique de Lille) répond à nos questions sur les objectifs du colloque et évoque l’intervention de J-L M-L. sur le thème de l’âme
Quelle frontière entre l’humain et le vivant?
Face à l’essor de nos connaissances sur la Nature, les frontières entre notre espèce et les animaux sont devenues tellement ténues que beaucoup les jugent même inexistantes (p. ex. les antispécistes).
La théorie de l’évolution convie l’anthropologie catholique à définir plus précisément sa trilogie corps-psyché-esprit : où passe exactement la frontière en l’humain et le vivant ?
J-L M-L a proposé un concept de l’âme qui intègre la réalité de l’Esprit, dont tout l’Univers est constitué.
Comment les croyants peuvent-ils revêtir leur nouvel habit de « créatures comme les autres » parmi les toutes les espèces sans abandonner ce qui leur semble le plus précieux, leur relation avec l’Invisible ?
L’âme, si on la repense à nouveaux frais, peut trouver une place juste et rationnellement #_ftn1fondée dans notre société démocratique. Et une place justifiée d’hypothèse en matière de recherche scientifique. Car toute science, toute loi, toute connaissance n’existent que liées à un « je » humain. [1]
Âme, flamme spirituelle unique
Ceci implique la prise en compte politique (au sens large) de l’intériorité humaine, de la vision et de la personnalité irremplaçables de chacun, bases de l’« âme ».
Celle-ci constitue le « vif du sujet » conscient de lui-même, l’essence de sa nature spécifique (lui seul peut dire : « je suis »), l’instance qui le désigne comme une entité promise à un destin inédit non écrit d’avance. L’âme exprime le précieux vécu, l’unité vivante et continuée du sujet unique, conscient et volontaire, dans son corps et son esprit, en lien avec le monde visible et invisible (ou transcendant).
Elle est le corps spirituel de la personnalité morale (éthique, religieuse) et ontologique qu’elle se construit en fonction de ses choix successifs.
Selon les croyances, sa singularité survit ou non au dépouillement du corps.
En résumé, l’âme est la flamme spirituelle unique nourrie par les fruits du cœur et de la raison d’une subjectivité humaine, base de son être éternel potentiel [2] .
______________________
[1] MARTIN-LAGARDETTE (Jean-Luc), Voir la conscience. Philosophie radicale, une science de la liberté, Paris, L’Harmattan, coll. Interfaces et Transdisciplinarités [2023].
[2] Définitions par l’auteur.
Deux visions de l’âme aujourd’hui
– Vision laïque : l’être humain est vu comme un animal qui pense, invente et parle.
Pour M. Tout le Monde, l’âme est la substance spirituelle unique, éthique, affective et culturelle de toute une vie, qu’il peut bâtir et léguer à ses proches ou à la Terre entière. Et qui survit seulement dans leurs cœurs ou leurs esprits.
– Vision spirituelle : l’être humain est vu comme esprit lié à une forme corporelle, matrice temporaire, et pouvant éclore, s’individualiser en différents degrés de réalisation en âme éternelle.
Pour le croyant, au vécu laïc s’ajoute la confiance que son âme, après son périple au sein des illusoires apparences, rejoindra, comme une goutte d’eau l’océan, un Infini de Lumière et de Vérité. Et retrouvera ses chers disparus.
Pour le chrétien, l’âme est en outre le cœur qu’il présente à son Créateur lors de son « départ ». Voulant s’accomplir sur Terre par son comportement fraternel, il expérimente déjà, par le Messie, la vie dans l’éternel Présent. Il rejoint ensuite un Père éternel dans la joie de se savoir un être, son « enfant ».
La définition de l’âme donnée par J.L Martin-Lagardette est intéressante par le dynamisme qu’elle induit dans la mesure où elle place l’homme dans une responsabilité joyeuse de son présent avenir . Celui -ci peut ainsi se pendre en main et ne plus comme le font souvent trop de nos contemporains attendre tout de Dieu ou penser ne rien pouvoir faire pour transcender le destin. C’est en vivant la Voix de sa Conscience qu’il s’humanise en apprenant ainsi à regarder l’autre comme son frère…